During the locust control operation held in South Morocco in 1995, a quantitative study was carried out on morphologic measures of 586 adults of both sexes of the desert locust Schistocerca gregaria. The results of the study reveal that these populations present a mosaïc structure with the predominance of the gregarious phase at the beginning of the outbreak in the localities of Foum-Bousseroual and M'Rikha in the south east of Errachidia (Z1). The gregarisation degree diminishes in the regions situated to the north of this zone (Z1). The gregarious phase prevalence in the south (of Z1) may be related to favorable conditions which have contributed to maintaining the allochthonous gregarious populations.
The solitary populations localised in the north of this zone and in the Tata zone (Z2) are indigenous. The bad environmental conditions combined with timely control operations stopped the departure of a new invasion.
Introduction
Le criquet pèlerin (Schistocerca gregaria) appartient à la famille des Acrididae, c'est un locuste doté de polymorphisme phasaire, (Uvarov 1921) dont les pullulations et les déplacements dépendent à la fois des conditions écologiques et météorologiques. Capable d'une grande adaptation au milieu, l'insecte mène en période de rémission une vie discrète à l'état solitaire dans les zones désertiques comprises entre l'Inde et l'Océan Atlantique, soit sur une superficie de près de 16 millions de km2.
En période d'invasion, il dévaste une superficie, qui peut atteindre 29 millions de km2 (soit 20% de la surface du globe) couvrant 65 pays d'Afrique, du Moyen Orient et d'Asie du Sud-Ouest (Uvarov 1977, Magor 1994).
Situé au Nord-Ouest de l'Afrique, le Maroc, pays à vocation essentiellement agricole, est sujet par intermittence à des invasions acridiennes. Il a connu plusieurs cycles d'invasion du Criquet pèlerin, dont le dernier date de 1987 à 1989. Cette invasion est considérée comme l'une des plus importantes puisqu'elle a nécessité le traitement de près de 5 millions d'hectares. Une nouvelle recrudescence du criquet pèlerin a eu lieu en 1994–1995, au Sud du Maroc.
Nous avons essayé durant 1995 de savoir si les différentes infestations observées proviennent d'une même population ou sont d'origines différentes, à travers l'étude des paramètres suivants: la structure phasaire basée sur les indices morphométriques (E/F et F/C), la densité des oothèques, leur contenu en œufs, et la densité des populations. Ces paramètres biologiques constituent de bons indicateurs de l'état phasaire des populations acridiennes.
Situation géographique des zones prospectées
Les zones choisies pour notre étude se situent dans les régions d'Errachidia et de Tata au pied du versant sud du Haut et de l'Anti-atlas. Elles font partie des régions les plus touchées par les populations du criquet pèlerin et constituent des voies privilégiées d'infiltration des essaims du criquet pèlerin en provenance du Nord de la Mauritanie (fig. 1):
La zone Z1, située au Sud-Est de la ville d'Errachidia, dans la vallée où confluent Oued Ziz et Oued Ghreis, connue sous le nom du Tafilelt, a été prospectée au cours de mars-avril 1995.
A la jonction de ces deux oueds commence Oued Daoura.
Le revêtement végétal est riche en espèces annuelles dont la majorité sont en végétation ou en floraison, avec une distribution hétérogène, offrant des plages vides.
La zone Z2, située dans la région de Tata (la basse vallée de Drâa) a été prospectée au cours de juin-juillet 1995. Le tapis végétal est pratiquement desséché et de structure homogène avec présence de quelques poches vertes au niveau de la vallée.
Les différentes localités où des échantillonnages ont été effectués sont indiquées dans les tableaux (1a, 1b).
Matériel et méthode
Caractères morphométriques.
Des mesures morphométriques ont été effectuées sur 586 adultes du criquet pèlerin des deux sexes, capturés par filet fauchoir, le matin entre 6h et 11h. Le nombre de coups de filet fauchoir effectué sur chaque station est de 10; le nombre d'individus échantillonné est: 66; 55; 71; 78; 94; 94 dans les localités respectives Foum bousseroual, M'Rikha, O. Daoura, Ouzina, Talghoumt et Tamzguidat. Il est de 74 à Toïba et de 61 Msalet. Les mesures ont concerné les organes suivants: la lon-gueur du fémur postérieur F, de l'élytre E et la largeur de la capsule céphalique C (l'épaisseur de la tête) selon la méthode d'Uvarov (1928) et de Zolotarevsky (1933). A partir de ces mesures sont établis les indices morphométriques (Dirsh 1953), F/C et E/F, présentés sous forme d'abaques morphométriques (Rungs 1954). Les mesures des organes ont été prises à l'aide d'un pied à coulisse électronique (précision 0.1).
Dénombrement des populations acridiennes.
Les paramètres biologiques suivants ont été pris en considération: la densité des oothèques et leur contenu en œufs. L'évaluation de la densité des oothèques a été effectuée selon la méthode des quadrats dont le principe est de choisir au hasard 5 à 10 surfaces de 125 cm2 dans lesquelles nous comptons les oothèques repérées et leurs contenus en œufs (Lecoq, Mestre 1988).
Pour le comptage des ovarioles, nous avons effectué des dissections de femelles dans du liquide physiologique, et ensuite nous avons dégagé les ovaires et compté les ovarioles sous la loupe binoculaire en nous basant sur la classification d' Albrech (1967), soit 29 femelles récoltées à Foum-Bouseroual et 20 femelles pour M'Rikha, et le même nombre retenu pour Tamzguidat. Le nombre d'œufs pour chaque phase est défini selon la classification de Popov (Duranton, Lecoq 1990) concernant la deuxième ponte: de (90 - 110) pour les solitaires, de (65–70) pour les grégaires. Les transiens sont intermédiaires.
La densité a été estimée, le matin avant l'envol des criquets, par la méthode de comptage à vue le long d'un itinéraire de 10m de long et de 1m de large dans le cas des individus dispersés avec un nombre de répétitions de 10. Au crépuscule, d'autres échantillons ont été prélevés, à partir d'une surface de 1m2 avec un nombre de répétitions de 5 (Duranton, Lecoq 1990).
Résultats
Structure phasaire des populations de Schistocerca gregaria.
Les figures (2a, 3a) montrent une prédominance, en mars–avril 1995, des phases grégaire et transien avec respectivement des pourcentages de 56% et de 42% dans la localité de Foum Bousseroual, et seulement 2% pour la phase solitaire. Dans la localité de M'Rikha les proportions sont respectivement 58% et 42%. Ces deux localités, situées au Sud d'Errachidia en Z1, ont été les premières envahies par les essaims du criquet pèlerin provenant de l'extrême Sud du Maroc. Dans les localités situées au Nord de la zone Z1, on note la présence de criquets solitaires et transiens: la phase solitaire est représentée avec des taux de 38% à O.Daoura, de 35% à Ozina, de 40% à Talghoumt et de 43% à Tamzguidat, alors que la phase transienne est présentée dans les mêmes localités avec les taux respectifs: 62%, 65%, 59.7% et 50%. Nous avons noté l'absence d'individus grégariformes dans les trois premières localités à l'exception de quelques individus récoltés à Tamzguidat (limite Nord de Z1) ne dépassant guère 7%.
Les résultats des mesures d'indices morphométriques E/F et F/C considérés au seuil (p< 0.05) sont significativement différents pour F/C (F (5,452) = 66.084, p<0.0001) et pour E/F (F (5,452) = 51.612, p<0.0001) entre les populations des localités situées au Sud-Est de la zone Z1 à Foum Bousseroual et à M'Rikha et celles situées au Nord de la même Zone) à O. Daoura, Ouzina, Talghoumt et Tamzguidat, ce qui confirme la diminution du degré de grégarisation du Sud vers le Nord comme le montrent les abaques morphométriques. Cette structure phasaire dominée par la phase grégaire au Sud et la phase transienne et solitaire au Nord de la même zone indique que ces populations acridiennes sont d'origines différentes. La présence de populations grégaires au Sud est en fait due à l'arrivée de populations allochtones sous forme de petits groupes grégaires en provenance du Sud qui s'y sont installés pour se reproduire à la faveur de bonnes conditions écologiques. Quant aux individus solitaires présents au Nord de cette zone, ils sont issus de populations dispersées vivant discrètement dans la région et seraient donc autochtones.
Les populations de Schistocerca gregaria qui ont dévasté la zone Z2 (région de Tata) (Fig. 2b, 3b) présentent une structure phasaire à dominance solitaire avec des proportions de 70% à Toïba et de 58% à Msalet, alors que la phase transienne est représentée respectivement de 30% et de 42% avec absence d'individus de morphotype grégaire.
Au niveau de cette zone, la population de Toïba et celle de Msalet présente une même structure phasaire à dominance solitaire, comme le montre la comparaison du rapport E/F entre les deux populations (F (1,134) =0.971, p=0.3263).
Dénombrement des oothèques et des œufs.
La densité des oothèques est de 7; 14.2 et 13.4/125 cm2 respectivement dans les localités de Foum Bousseroual, M'Rikha et Tamzguidat. D'après le nombre d'œufs par oothèque (fig. 4), nous avons retrouvé les trois phases citées précédemment (fig. 5). La phase grégaire présente 60% à Foum Bousseroual, 62.7% à M'Rikha et 10% à Tamzguidat. La phase transiennr présente des taux respectifs de 30%, de 37.5% et de 30% dans les mêmes localités. La phase solitaire est représentée par 10% à Foum Bousseroual et 50% à Tamzguidat. Ces résultats sont confirmés par le nombre d'ovarioles (F(2,64) = 29.192, p<0.0001) qui est significativement différent entre les femelles des populations des localités du Sud, Foum Bousseroual et M'Rikha, et celles de Tamzguidat située au Nord, ainsi que le nombre d'œufs (F(2,69) =15.829, p<0.0001).
Densité des populations acridiennes.
La densité des populations (fig. 6a) est moyenne à forte dans les deux localités : Foum Bousseroual et M'Rikha avec des valeurs comprises entre 0.25 et 0.5 adultes/m2(250–500/ha). Alors qu'elle est relativement faible et varie de 0.0012 à 0.025 adultes/m2(1–25/ha) dans les localités Nord de la zone Z1. Dans la zone Z2, les densités enregistrées (fig. 6b) sont faibles et inférieures à 0.020 adultes/m2(20/ha). Les individus forment de petits groupes dissociés, qui témoignent de la dispersion des populations.
Discussion et conclusion
Les résultats obtenus au cours de la période mars-avril de l'année 1995 montrent que les populations de Schistocerca gregaria qui ont été localisées au Sud Marocain en 1995 offrent une structure triphasique; La phase grégaire domine dans les localités situées au Sud- Est (Z1): Foum Bousseroual et M'Rikha. En se dirigeant vers le Nord de la zone (direction Tamzguidat), le degré de grégarisation diminue progressivement avec apparition des phases transienne et solitaire.
Dans les deux premières localités la présence de bonnes conditions écologiques a favorisé le regroupement des populations allochtones venant des zones sahariennes des pays limitrophes. Il est généralement connu que les populations grégaires migrent pendant le jour souvent sous forme d'essaims ou de petits groupes d'individus en quête de biotopes propices à leur reproduction. Les grégaires sont en effet réputés par leur capacité d'adaptation aux biotopes les plus austères par suite de la résistance et de la grande mobilité qu'ils acquièrent. La survie des grégaires est donc conditionnée par leur mobilité, laquelle dépend essentiellement de la cohésion des effectifs et de l'intensité de la stimulation mutuelle (Albrecht 1967, Uvarov 1966).
Quant aux solitaires, ils mènent une vie essentiellement sédentaire et discrète en exploitant les ressources immédiatement disponibles d'un biotope normalement propice. C'est le cas des populations qui occupent les stations situées plus au nord de la zone précitée. Ces populations possèdent en effet des caractéristiques morphologiques essentiellement de solitaires et ont donc une origine autochtone.
Les populations acridiennes qui ont été localisées dans la zone de Tata (juin–juillet 1995) sont constituées principalement de solitaires immatures issus des éclosions de la génération printanière d'autochtones. Cette structure phasaire est favorisée par l'uniformité de la microstructure du milieu qui maintient la dispersion des individus à faible densité (Bouaïchi et al. 1996, Collett et al. 1998, Despland & Simpson 2000, Roessingh et al. 1998, Simpson et al. 1999).
Il y a lieu de souligner que l'action conjuguée des inondations enregistrées au Sud marocain au début du mois d'avril, du vent observé durant la période (juin–juillet) et de la lutte engagée ont significativement contribué à la réduction de la densité de ces populations et par conséquent au renforcement de la solitarisation de la population. Ceci se manifeste dans l'immédiat au niveau du comportement des insectes et à plus long terme (au moins deux générations) sur les caractères morphologiques si le faible effectif se maintient.
Il est généralement admis qu'en absence totale de conditions favorables à la reproduction et à la survie des criquets, ces populations migrent vers les pays du Sahel pour s'y reproduire à la faveur des pluies de mousson que connaît la sous région en été. Ces déplacements correspondent aux migrations classiques connues chez le criquet pèlerin (Pedgley 1982 in Roffey 1994, Uvarov 1977,Waloff 1966). Les populations solitaires peuvent en effet aussi migrer mais de nuit (Rao 1942, Roffey & Popov 1968, Uvarov 1966). Ces vols Nocturnes ont été détectés par Radars (Riley 1974, Roffey 1969, Schaefer 1976).
Comparées aux populations acridiennes de la grande invasion de 1987–1988 (Boughdad 1989, Mouhim 1989) où la phase grégaire dominait, avec multiplication du degré de grégarisation d'une année à l'autre les populations acridiennes de 1994–1995 sont beaucoup moins importantes numériquement avec des caractères phasaires de grégaire beaucoup moins prononcés. Les facteurs environnementaux associés aux actions de lutte préventive ont considérablement contribué à briser le départ d'un nouveau cycle d'invasion.
Acknowledgments
Nous tenons à remercier la Communauté européenne (contrat TS3 CT 93 0208) et l'équipe du Centre de Lutte Antiacridienne d'Aït-Melloul, qui nous ont facilité le séjour sur le terrain durant la rémission du criquet pèlerin en 1995 au sud du Maroc.